Sous les ruines du rationnel et les crises du monde moderne, quelque chose revient frapper à la porte du cœur : le Souffle de la Mère.
Ici il n’est pas question de la mère biologique, mais de la Mère Divine, principe d’accueil, de compassion et de reliance, que tant de traditions ont nommé : Inanna, Tara, Tanit, Marie-Madeleine, Sophia…
Ce retour n’est pas religieux, il est organique.
Il vient réparer un déséquilibre : celui d’une humanité qui a survalorisé le logos (le mental, la conquête, la séparation) au détriment de l’éros, cette intelligence du lien, du corps, de la Terre.
Nous ne cherchons plus un Dieu lointain. Nous cherchons la Présence matricielle qui réconcilie, qui écoute, qui guérit.
🌿 Inanna, Tara et les Mères originelles
Bien avant les dieux des religions patriarcales, la Mère régnait.
Comme l’écrit Françoise Gange :
« Avant les dieux, il y eut la Mère. Elle enfanta le monde, et les dieux naquirent d’elle. »
🌒 Inanna : la descente dans la matrice des ombres
Chez les Sumériens, Inanna, déesse de l’amour et des enfers, descend sept fois dans les profondeurs.
À chaque porte, elle se dépouille de ses attributs de puissance, symbolisant la traversée initiatique du moi vers la vérité nue.
Elle meurt, puis renaît, rappelant à l’âme que toute lumière doit d’abord traverser l’obscurité. Inana est la première psychologue du monde : celle qui ose plonger dans l’inconscient pour ramener la vie. Elle accompagne dans la création, la naissance, la vie et la mort…
🔻 Marie-Madeleine : les sept démons comme sept portails
Cette descente d’Inanna résonne profondément avec l’expérience de Marie-Madeleine, telle qu’elle apparaît dans les évangiles et dans la lecture ésotérique qu’en fait Daniel Meurois dans Le Testament des Trois Maries.
Les « sept démons » chassés du corps de Marie peuvent être compris non comme des entités maléfiques, mais comme sept portails initiatiques, symboles des zones d’ombre à traverser pour retrouver la lumière du cœur.
Chacun de ces portails correspond à une transmutation : de la honte à la dignité, de la peur à la foi, du désir à l’amour.
Comme Inanna, Marie-Madeleine incarne le courage du retour à soi à travers la nuit.
🕊️ Sophia : la sagesse incarnée
Dans la philosophie gnostique et néoplatonicienne, Sophia (la Sagesse divine) est la Mère cosmique, la Matra Sophia : celle qui donne naissance au monde visible.
Chez les gnostiques, elle chute dans la matière par amour pour sa création, et c’est ce geste d’amour jusqu’à la séparation, qui fait d’elle la Mère rédemptrice.
Sophia est la conscience du féminin qui, en tombant dans la dualité, apprend la compassion.
Elle relie les traditions : Inanna descend, Tara délivre, Sophia se souvient.
💚 Tara : la compassion en mouvement
Dans le bouddhisme, Tara naît d’une larme d’Avalokiteśvara, le Bodhisattva de la compassion.
Cette larme, tombée du ciel, devint une fleur de lotus d’où surgit la Mère verte, Tara Ljang-ku, « celle qui fait traverser ».
Dans les traditions tibétaines, elle se manifeste sous 21 visages, chacun représentant une forme de sagesse active, dont voici les fondamentales :
- la Verte, l’action juste ;
- la Blanche, la guérison et la pureté ;
- la Rouge, la transmutation du désir ;
- la Noire, la dissolution des peurs ;
- la Ultime, la Mère silencieuse de tous les Bouddhas.
Chacune est une facette du même cœur : la compassion qui agit.
🌍 La Mère amazighe : gardienne des sources
Chez les peuples amazighs, on invoque Tanit, Lalla Tazrout, ou les « mères des sources ».
Elles sont liées à la Terre, au lait, à la pluie, à la fécondité.
Elles protègent les vivants et accompagnent les morts.
Leur culte ancien n’a jamais disparu ; il s’est simplement voilé derrière les prières des femmes, les chants, les hennés et les offrandes de pain.
Elles incarnent la dimension matricielle du sacré : celle qui nourrit sans condition.
La Compassion : matrice du monde
La compassion n’est pas faiblesse, ni pitié.
Elle est la force du cœur conscient, la capacité d’embrasser sans juger.
Son mantra, Om Tare Tuttare Ture Soha
Dans les textes bouddhiques, Tara est appelée celle qui agit vite, car sa compassion ne réfléchit pas, elle répond, elle est une onde de guérison qui est un baume sur mon cœur à chaque récitation :
OM — Je m’unis à la Source
TARE — Je m’ouvre à la compassion
TUTTARE — Je libère mes peurs
TURE — Je m’éveille à ma véritable nature
SOHA — J’incarne la paix ici et maintenant
La compassion véritable, c’est l’amour lucide : celui qui voit clair, mais choisit quand même d’aimer.
Les 21 Taras : mandala du féminin intérieur
Les 21 Taras peuvent être vues comme un mandala du féminin psychique : un voyage du corps vers la conscience.
La compassion n’est pas qu’un état mystique :
c’est une alchimie du vivant, où chaque émotion : colère, peur, dégoût et tristesse, devient offrande.
« Chacune des 21 Taras est une flamme de ton propre cœur. Elles ne vivent pas dans les monastères, mais dans les battements du vivant,
dans chaque geste où la compassion agit sans témoin. »
🕯️ La Mère dans la psyché : blessure, dépendance et liberté
Sur le plan psychologique, la Mère n’est pas qu’une personne, c’est un archétype, un champ énergétique fondateur.
Jung la décrit comme le contenant psychique primordial, celui qui offre sécurité, appartenance et nourriture symbolique.
Mais lorsque cette matrice est blessée, par l’abandon, le rejet, la fusion, la peur du manque ou la honte d’exister, l’enfant intérieur demeure en quête. Il cherche la Mère dans les relations, dans la spiritualité, dans la réussite.
Winnicott, lui, parlait de la mère suffisamment bonne : celle qui ne fait pas tout à la perfection, mais qui permet à l’enfant de se sentir « existé ».
Trouver en soi cette Mère intérieure, c’est cesser de courir après la validation du monde.
C’est la guérison du lien à la Mère qui permet de naître à soi-m’aime.
La spiritualité, ici, n’est pas fuite mais intégration : redevenir son propre berceau.
Le Féminin sacré aujourd’hui : mythe et clinique
Le renouveau du féminin sacré, qu’on observe partout aujourd’hui, n’est pas un effet de mode.
C’est une réponse collective à une blessure ancienne : la mise à l’écart du principe maternel, du corps, du sensible.
Mais attention : il ne s’agit pas d’idéaliser la Mère ou de se réfugier dans un imaginaire romantique.
La véritable voie du féminin sacré, comme le rappelle Françoise Gange, consiste à retrouver l’expérience du sacré à travers la matière vivante. Que l’on soit homme ou femme.
Tara, Inanna, Sophia, Marie-Madeleine, Tanit… Toutes nous apprennent que spiritualité et incarnation ne sont pas opposées : l’une inspire, l’autre féconde.
Dans le processus thérapeutique, invoquer ces archétypes revient à rouvrir l’espace du cœur,
à libérer la tendresse contenue, à se réconcilier avec la Mère que l’on porte en soi, et parfois, avec la mère que l’on fut pour d’autres.

Re-naître à la Mère intérieure
La Mère Divine n’appartient à aucune religion.
Elle est un principe vivant, une fréquence du monde qui se manifeste à travers chaque acte de soin, de pardon et de beauté.
Lorsque Inanna descend, c’est l’âme qui réclame la vérité.
Lorsque Marie-Madeleine se relève, c’est le féminin blessé qui retrouve sa dignité.
Lorsque Tanit se manifeste, c’est l’illusion du manque qui laisse place à la confiance
Lorsque Tara surgit dans la conscience, c’est le signe que la compassion cherche à se faire chair.
Lorsque Sophia se souvient, c’est la lumière du monde qui se rétablit en équilibre avec l’ombre.
« La Mère Divine n’attend pas d’être adorée.
Elle attend d’être vécue. »
Et si, comme l’écrivait Denis Guedj dans Zéro :
« Le vide n’est pas le néant, mais la matrice du possible », alors peut-être que cette Mère silencieuse, au fond de nos cœurs, est justement ce vide plein d’amour d’où tout peut renaître.
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